Intégrer la sexualité dans le parcours de soins
Intégrer la sexualité dans le parcours de soins, le plus précocement possible : Entretien avec Adeline Grelet, infirmière diplômée d’État sexologue, Bordeaux.
La qualité de vie affective et sexuelle des personnes stomisées est souvent gravement diminuée. Beaucoup d’entre eux ne sont pas suffisamment informés des répercussions possibles de la chirurgie sur leur sexualité, ce qui crée de l’anxiété et de la frustration. Cependant, avec un accompagnement adapté, il est possible de réhabiliter ces aspects de leur vie. La sexualité est un élément clé du bien-être personnel, que l’on soit en couple ou célibataire. Adeline Grelet (A.G.) nous livre ses chevaux de bataille avec autant de bienveillance que de franchise. Portrait d’une professionnelle de santé qui brise les tabous dans la douceur mais sans ambage.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?
Je suis infirmière depuis 2013, et j’ai notamment travaillé pendant près de 10 ans dans un service de chirurgie digestive. C’est en accompagnant des patients opérés, notamment ceux avec des stomies, que je me suis rendue compte que l’on négligeait trop souvent l’aspect affectif et sexuel, une composante pourtant essentielle à la qualité de vie. En 2020, j’ai décidé de suivre, pendant 3 ans, un Diplôme Inter-universitaire en Études de la Sexualité Humaine à l’Université de Bordeaux 2 pour mieux répondre aux besoins de mes patients et les accompagner dans un climat de confiance et de sérénité.
Pourquoi est-ce si important d’intégrer la sexualité dans le parcours de soins ?
Après une chirurgie comme une stomie, beaucoup de patients ont l'impression de perdre leur identité, leur désirabilité ou leur capacité à avoir une vie affective et sexuelle épanouissante. En tant que soignants, nous devons être capables de répondre aux besoins médicaux, psychologiques, mais aussi sexuels des patients, car tout cela est lié et a un impact majeur sur leur qualité de vie.
Selon vous, pourquoi ce sujet reste-t-il souvent gênant ?
A.G.: La sexualité est encore un sujet difficile à aborder, aussi bien pour les soignants que pour les patients. D’un côté comme de l’autre, il y a la crainte de mettre mal à l’aise. Tout le monde est dans la retenue. Et puis cela parait ‘’superfétatoire’’, une question de ‘’confort’’, une sorte de ‘’luxe’’ dont on peut se passer de parler lorsque l’on a un problème de santé grave et que l’on doit d’abord penser protocole, guérison, nutrition, gestion des soins, kinésithérapie… On a tendance à opposer l’aspect vital et l’intimité or la sexualité fait partie de la vie…
Nous le savons, c’est une question délicate, quelle est votre approche ?
A.G. : Mon approche est de normaliser la discussion en posant des questions simples dès le début de la première consultation, c’est-à-dire avant la chirurgie : « Comment ça va sur le plan affectif ? » ou « Est-ce que vous avez des interrogations sur la sexualité ? ». Je leur dis d’emblée que c’est un sujet légitime et pas superflu, et qu’on peut en discuter librement. Cela permet de créer un espace où ils se sentent en sécurité et peuvent aborder leurs doutes ou leurs peurs sans complexe. Mon premier objectif est qu’ils se sentent écoutés, compris, et non jugés. Cela fait partie de ma démarche de soins globale : ne pas dissocier le corps du mental et des émotions.
Et puis c’est majeur de savoir s’il y a ou non des soucis déjà existants avant l’opération pour mieux anticiper les solutions que pourrai proposer après. Je pose les mots toujours très simplement : « Est-ce que vous avez des troubles de l’érection ? », « d'éjaculation ? », « de sécheresse vaginale ? »… On peut aussi parler des pratiques sexuelles sans tabou…
Le patient est une personne à part entière, il a un vécu avant l’opération, il a un vécu dans le présent et je veux tout faire pour qu'il y ait au moins le même ‘’niveau’’ de qualité de vie dans le futur.
Pourquoi libérer la parole en préopératoire ?
A.G. : Mon premier cheval de bataille, c'est de sensibiliser et d’informer dès le début, avant même l’intervention chirurgicale. Les patients doivent être préparés mentalement aux changements à venir et savoir que leur sexualité peut être impactée, mais pas détruite. Ensuite, je lutte contre les idées reçues. Beaucoup de patients pensent que, passé un certain âge ou après une intervention lourde, la sexualité deviendra secondaire, inutile voire lettre morte. C’est en prenant en charge ces aspects affectifs et sexuels, avant même l’intervention chirurgicale qu’on peut améliorer le pronostic de qualité de vie globale en post-opératoire. Je ne veux pas que les gens restent dans le silence ou se sentent démunis. Leur vie intime n’est pas finie ! Lever les blocages, c’est déjà réduire les angoisses.
Vous avez écrit un mémoire qui portait sur l’impact de la stomie sur la qualité de vie affective et sexuelle des patients. A travers les générations, quelles que soient les orientations sexuelles, quelles sont les principales difficultés ?
A.G. : Les personnes nouvellement stomisées sont souvent confrontées à une dévalorisation de leur image corporelle. C’est un changement brutal.
Elles se sentent « différentes », « anormales », « sales », « dégradées », « abimées », « déformées » ou même « dégoûtantes » pour reprendre leurs mots qui sont très durs. Ce regard négatif sur leur propre corps affecte fortement leur estime de soi et, par ricochet, leur vie sexuelle. Elles n’osent plus se montrer à leur partenaire, ou pensent qu'elles ne seront plus jamais désirables ou désirantes. C’est une énorme souffrance. Beaucoup se disent déprimés, stressés, tristes, frustrés, en colère…
Dans la majorité des cas, il y a une baisse évidente de la satisfaction sexuelle. Mon travail consiste à leur montrer qu’il est possible de se réapproprier leur corps et leur sexualité.
La vie affective fait partie intégrante du processus de guérison et de réhabilitation.
Vous semblez accorder beaucoup d’importance au fait de consulter des sexologues diplômés. Pourquoi est-ce si essentiel à vos yeux ?
A.G. : Mon autre combat, c'est d'inciter les gens à consulter des sexologues diplômés. La sexualité est un domaine de compétences sensible et complexe. Chaque patient a une histoire unique, des besoins spécifiques, et il faut une expertise pour les accompagner au mieux, leur apporter des solutions concrètes et adaptées à leur situation. On n’improvise pas. On ne réduit pas les problématiques en culpabilisant l’autre partenaire et son regard, on ne stigmatise pas la stomie comme le problème ‘’relationnel’’. Nous sommes 400 sexologues diplômés et qualifiés en France. Et nous travaillons très étroitement avec nos pairs psychologues. Il ne suffit pas de soigner le corps, il faut aussi aider les patients à se reconstruire psychologiquement. C’est une histoire de résilience, de combat de certaines fausses croyances et de réappropriation de son corps.
Quels types de solutions proposez-vous aux patients qui rencontrent des problèmes après une stomie ?
A.G. : Cela dépend des cas, des difficultés rencontrées et de leur origines - somatiques, psychogènes, iatrogènes, organiques – et des douleurs présentes. Pour les hommes qui souffrent de dysfonction érectile, il est possible de prescrire des médicaments comme la ‘’petite pilule bleue’’, ou de proposer des injections intra caverneuses. Si cela ne suffit pas, on peut envisager des implants péniens. Pour les femmes, des lubrifiants, des ovules à base d’acide hyaluroniques, des dilatateurs vaginaux ou des traitements hormonaux peuvent améliorer la qualité des relations sexuelles.
Mais il faut prendre en considération tout un tas de paramètres, le patient souffre-t-il d’une MICI (Maladie Inflammatoire Chronique de l'Intestin), d’un cancer, d’une endométriose, quel type de chirurgie a été réalisé, qu’a-t-on enlevé, reconstruit, recousu ; il faut envisager le temps de cicatrisation, connaître son orientation et ses pratiques sexuelles…
Puis, je mets beaucoup l’accent sur la communication au sein du couple. Il est important de ne pas laisser les non-dits s’installer, car cela peut rapidement nuire à la relation.
La sexualité, c’est bien plus que la simple pénétration : c’est le toucher, l’intimité, la tendresse, les petits bisous, les gros câlins, la proximité émotionnelle… Tout n’est pas une histoire de fellation, de cunnilingus, de sodomie et de Kamasutra.
Ce qui est important, c’est de bien comprendre qu’il y a toujours une solution adaptée à chaque situation. Mais encore une fois, il est crucial de consulter un sexologue diplômé pour recevoir les bonnes recommandations et les traitements adéquats. Mon message est simple : il y a toujours un « après ». Même après une chirurgie aussi invasive qu’une stomie, il est possible de retrouver une vie affective et sexuelle satisfaisante. Ce n’est pas toujours facile, bien sûr, mais avec le bon soutien et en s’entourant des bonnes personnes, il est tout à fait possible de reconstruire cette partie de sa vie.
Auriez-vous un dernier conseil pour nos lecteurs ?
A.G. : Oui, ne pas se soucier des normes sociales. Chacun fait ce qu’il veut tant qu’il y a consentement et respect mutuel. La sexualité, c’est avant tout le lâcher prise, donc on doit s’alléger des fausses croyances, des enjeux de performance, de la peur de ne pas y arriver, des codes sociaux, du poids des médias… La norme en sexualité est celle que l’on construit avec son partenaire au fur et à mesure de sa vie. On n’a pas à rentrer dans des cases mais à faire ce qui nous convient : du hard sexe, du slow sexe, avec ou sans objet, en levrette, en missionnaire, chacun fait ce qui lui plait tant que cela convient aux deux partenaires.
Conclusion
Adeline Grelet incarne une approche novatrice et humaine dans le parcours de soins des personnes stomisées. Son engagement à intégrer la sexualité dans les soins pré et post-opératoires ouvre une voie vers une meilleure qualité de vie, déconstruit les préjugés et offre un soutien essentiel à ceux qui en ont besoin. La sexualité, loin d’être accessoire, est un pilier du bien-être, et grâce à des professionnels comme Adeline, les patients peuvent envisager l'avenir avec espoir et confiance.
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